Un as de cœur, un valet de trèfle. Plutôt une bonne main. La fumée de cigarette envahissait la pièce, le moindre coin, la moindre fissure était empli de fumée. J'allumais mon énième clope en regardant le visage de mes adversaires du jour. Certains étaient doués pour bluffer, il ne laissait rien passer, certains faisaient exprès de paraître nerveux ou déçu par leur main ; c'est une tactique. Et enfin, il y avait toujours un ou deux gars qui ne pouvait pas s'empêcher de laisser échapper des infos à cause d'un tic ou d'une expression. Il fallait les repérer et leur mettre la pression. C'est tout un art, si vous y allez trop fort d'un coup, il craque et vous ne pouvez pas en profiter ; si vous n'y allez pas assez fort, ils se sentent surpuissant et plus rien ne marche. J'avais repéré mon pigeon, je n'avais plus qu'à le travailler au corps lentement, mais surement. Je ne pouvais pas louper mon coup et je l'ai pas loupé. Je l'ai persuadé de faire ce que je voulais, je lui ai fait croire que j'étais de son côté et au dernier moment boum ! Je retourne ma veste et j'empoche le pactole. Le gars aurait bien envie de se rebeller, de piquer une crise, mais il l'a ferme comme tous les pigeons, il se soumet. Le problème avec ce genre de petites arnaques, c'est qu'on ne sait pas vraiment à qui on s'attaque. Alors quand vous sortez du bar clandestin et que vous voyez deux gars en imper qui vous attendent en fumant une clope, vous savez que vous vous êtes planté de pigeon.
Dans la plupart des films de gangsters, les méchants amènent le héros dans un rue sombre et lugubre pour le truffer de balles. Le genre de ruelle aux murs décrépis et fissurés, où il n'y a que des poubelles et la mort comme compagnie ; c'est pour l'ambiance je suppose. Parce que dans la vraie vie, les gangsters s'en foutent de l'ambiance, s'ils doivent vous buter, ils vous butent, fin de l'histoire. Ils ne s'embêtent même pas avec des considérations comme la discrétion ou les témoins oculaires. Ils peuvent acheter qui ils veulent, ils pourraient même acheter le silence de cette putain de queen Elizabeth II. Le plus grand des deux pointe un flingue sur moi et tire aussi simplement que ça. La balle file droit vers mon cœur, ricoche contre le jeton de poker dans ma poche de poitrine et va se loger entre mon cœur et mon épaule. J'ai toujours eu des trucs dans ma poche de poitrine, je sais pas pourquoi, mais c'est comme ça. Le vieux bout de plastique n'a pas arrêté grand chose, mais il a dévié la balle de sa trajectoire ; à croire que dieu n'en avait pas fini avec moi.

***

On m'a retapé dans un hôpital miteux où j'oscillais entre rêve et réalité. Dans un de mes moments de lucidité, on m'a annoncé que ma femme me quittait, qu'elle partait avec les gosses. Je n'ai même pas eu le temps de chialer que je retombais dans les bras de Morphée. Une fois requinqué, on m'a envoyé dans une prison d'un coin reculé d'Écosse ; pour ma sécurité. Mes bleues et mes cicatrices disent le contraire. Étonnement, c'est dans cette prison que j'ai trouvé un boulot. Un maton vient me voir un jour et me dit que le psychologue de la prison veut me voir pour s'assurer que je peux sortir.

Psychologue - Entretien avec le détenu numéro 0228, Norwood Begbye plus connu sous le surnom de Dead man's hand. Pourquoi ce surnom ?
Norwood - La main de l'homme mort. C'est un terme de poker, ça vient d'un juriste de 1876 : Will Bill Hickok. Le bon William est à une table de poker, tranquille, et là un mec rentre, se dirige vers leur table et vide son chargeur sur Will dont la dernière main était une double paire d'as et de huit ; d'où la main de l'homme mort. Et comme je me suis fait connaître dans le poker avec des petites combines, on m'a donné ce surnom.
Psychologue - Hum. Je vois que vous êtes inscrit pour les réunions des alcoolique anonyme de la prison, mais d'après le registre vous n'y êtes jamais allé.
Norwood - Vous êtes sérieux, là. Vous voudriez que j'aille là-bas : bonjour je m'appelle Norwood, bonjour Norwood ... Non, sérieusement, c'est pas pour moi ça.
Psychologue - Vous pourriez arrêter avec un peu de volonté et puis il y a d'autre solution que l'alcool, vous ne croyez pas ?

Je ne répondais pas. L'alcool était la seule chose qui m'abrutissait assez pour que j'oublie un peu la réalité de mon monde. J'écrasais ma clope et me levait pour partir quand le psy reprit son petit discours ; que je coupais tout de suite.

Psychologue - Nous n'avons pas fi...
Norwood - J'en ai rien à foutre de vos boniments de psy, vous n'êtes même pas un vrai médecin. Alors maintenant, je retourne dans ma cellule et je vais faire du mas cramé pour ne pas boire, ça vous va Freud.
Psychologue - Attendez, j'ai un boulot à vous proposer. Vous avez entendu parler de l'instantiation, n'est-ce pas ? Bien, grâce à cette technique, nous pouvons récupérer des informations capitales dans le subconscient des gens.
Norwood - C'est qui nous ? Une multinationale obscure, ce genre de chose. En clair, vous me proposez de faire de l'espionnage industriel, mais je sais pas si vous savez, mon rayon c'est l'arnaque, le vol, ce genre de choses.
Psychologue - Disons que je travaille pour des gens influents, capable de faire sauter une condamnation de prison, par exemple. Et ensuite, pour tout vous dire, l'extraction ressemble plus à un casse de grande envergure dans l'esprit des gens qu'à de l'espionnage industriel basique. Cela vous intéresse-t-il ?
Norwood - Je signe où, fraulein.